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Au pays des chasseurs de têtes (E. Curtis)

C'est sous ce titre (In the land of headhunters) que fut publié en 1914 ce qui est sans doute le premier film ethnographique jamais réalisé, plusieurs années avant Nanook, et qu'un ami avisé vient de me faire découvrir. Le film est actuellement projeté, pour encore quelques jours, dans quelques salles parisiennes, mais on le trouve aisément sur Internet.

L'action se situe chez les indiens Kwakiutl, une des plus célèbres tribus de la côte Nord-ouest, installée dans la région de l'île de Vancouver. Comme tous leurs voisins, ceux-ci étaient des chasseurs-cueilleurs sédentaires ; dans des sociétés marquées par de fortes inégalités sociales, la richesse jouait un rôle de premier plan, en particulier au cours de ces « compétitions de dons » connues sous le nom de potlatch.

Le film montre assez peu de choses sur les structures sociales kwakiutl ; d'une durée de 45 mn, il est construit autour d'un scénario (?) quelque peu hollywoodien ; on sent que l'intrigue, qui tourne autour d'une histoire d'amour contrariée, a été conçue bien davantage pour séduire le public des Blancs que pour servir l'authenticité ethnographique. Il n'empêche, plusieurs scènes valent le détour, à commencer par celles, nombreuses, qui mettent en valeur les danses et les incroyables costumes de ces Indiens. L'on aperçoit aussi la taille imposante des maisons, et la majesté des mâts-totems qui les ornaient, ainsi que de leurs pirogues de guerre.

Une « fille de chef » Kwakiutl (photo E. Curtis).
On remarquera ses bijoux en métal,
signes extérieurs de richesse.
On notera une brève allusion à l'esclavage, ainsi que l'habitude (fort banale de par le monde) consistant à ramener les têtes de ses ennemis en trophée. Contrairement à ce que suggère le titre, il ne s'agissait pas à proprement parler de « chasse aux têtes » car celles-ci n'étaient pas l'objectif de la guerre ; elles n'en étaient qu'un témoignage, un sous-produit si l'on peut dire. La guerre avait, chez ces peuples, un caractère économique très marqué, à savoir le pillage pur et simple ou la capture d'esclaves. Une scène illustre enfin le « prix de la fiancée » (ici, réglé en couvertures), ce paiement souvent lourd qu'un prétendant devait effectuer à sa future belle-famille pour obtenir le droit se marier.

Pour finir, le réalisateur du film, E. Curtis, était un photographe spécialisé dans le genre ethnologique. Il ne faut pas manquer le site qui lui est consacré :  et qui rassemble nombre de ses œuvres qui, plus d'un siècle après, sont restées tout aussi fascinantes qu'au premier jour.

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